« Madame, un livreur a besoin de votre signature pour un grand colis. Il dit que c'est votre acquisition de l'enchère. » Lou relève la tête de son livre. « Merci Hae Mi, je vais aller voir ça. » Elle observe la jeune femme qui la toise. C'est bien dommage d'avoir à la maison une femme d'environ son âge, sans pouvoir être amie avec elle. Ne soit pas trop gentille avec elle Louise, elle n'est qu'une domestique. Après elle prendra ses aises et ne fera plus son travail. Lui disait Moon Bin. Lou se souvient s'être sentie blessée et gênée pour cette femme. Mais cela fait deux ans qu'elles vivent ensemble et pas une fois Hae Mi n'a montré autre chose que du respect basique pour son employeuse. Louise a essayé de protester et de changer, mais Moon Bin a eu le dernier mot. Comme à chaque fois.

Perdue dans ses pensées moroses, Lou débarque sur le pas de sa porte. Dans son jean moulant et son chemisier large, elle n'a pas l'air d'être la maîtresse maison, pourtant, elle ne manque pas d'attirer le regard du livreur qui bégaie avant de déclarer avoir deux colis. « Deux ? »  demande Louise surprise. « Oui Madame. Un au nom de Kang Moon Bin et l'autre au nom de Hamilton Lou. » Louise ne fait pas d'histoires. Le premier tableau, grand et imposant, elle sait qu'il s'agit du fameux Mondrian. Mais l'autre ? Elle remercie les hommes avant de demander. « Hae Mi, veux-tu bien m'aider à déposer ce tableau dans le bureau de Moon Bin ? »  Une fois cela fait, Lou se précipite sur l'autre paquet. Elle est capable de le soulever toute seule et se glisse dans son bureau. Sa pièce, celle où elle ne laisse personne entrer.

Une fois la porte refermée, elle se sent étrangement excitée. La curiosité l'emportant, elle s'attaque avec délicatesse à défaire le papier kraft et les diverses autres protections. Le tableau se dévoile. Des tons bleus, des éclats colorés. Il est bien plus beau en vrai. Lou le dépose sur le dossier de son petit sofa, contre le mur, pour l'observer à la lumière du jour. L'émotion la saisit. Elle déclame à nouveau, le poème de Victor Hugo, cette fois en entier. Elle pense beaucoup trop fort à Han Bin pour ne pas lui écrire.



Son cœur tressaute alors qu'elle envoie le message. Elle a hâte, elle a envie qu'il dise oui. Elle a envie de le voir aujourd'hui. A-t-elle perdu l'esprit ? Oui, certainement. Pour tromper l'impatience, elle se replonge dans la contemplation du chef d’œuvre. Une signature, Aein, se découpe discrètement dans un coin du tableau, se mêlant aux mouvements de la toile. Elle a soudain envie de rencontrer cette personne. Son téléphone vibre dans sa main, ses yeux se précipitent sur l'écran. Le nom attendu s'est affiché. Elle déverrouille précipitamment son smartphone pour lire la réponse. « Merde ! »  Elle n'a pas beaucoup de temps pour se préparer.

C'est une demi-heure plus tard qu'elle débarque à l'entrée de l'immense établissement où elle travaille, les autres jours. Elle guette sa sortie. Finalement, elle est restée habillée de son jean, a enfilé de jolies bottines et une petite veste assortie, mettant en valeur sa chemisette blanche. Elle a remonté ses cheveux en chignon lâche et pris le temps de se maquiller un peu, juste un peu. La touche de parfum ajoutée à cela, elle a finit par sortir, manquant d'être en retard.

Encore un matin, encore un réveil. Il ouvre les yeux, s’étire faiblement. Il n’a pas dormi au dortoir cette nuit. S’étirant encore un peu, il frotte ses yeux et masse son coeur qui a du mal à battre correctement. Oh, ça ne le tuera pas plus vite que quelqu’un d’autre, mais ça le fatigue beaucoup par moment, et ça l’empêche de faire autant de choses qu’il le voudrait. Comme reprendre la natation. Au moins, il peut continuer l’équitation. Ses pas endormis l’emmènent vers la cuisine une fois sa douche de faite et ses habits. Il embrasse la joue de Nana et s’installe pour le petit-déjeuner en prenant ses cachets. « Merci. » « Alors, maintenant que l’on est seuls, comment était ta soirée ? » Il plonge alors son regard hésitant, coupable et emprunt d’une nostalgie liée à elle qu’il ne s’explique pas. « Magique... » Un sourire fané se pose sur ses lèvres et il commence à manger. « Je la trouve charmante… » Il sourit sous le compliment de Nana et lui prend la main. « Elle serait sans doute ravie de le savoir. » Elle qui ne se sent pas à sa place ici. Et pour Han Bin, Nana vaut plus que n’importe qui. « Je vais être en retard. » Elle lui donne un bento rempli de bonnes choses lorsqu’il se redresse et cette fois, il lui vole un câlin. Voir son regard aimant le rassure quelque peu.

Les cours sont longs, fades. Il n’arrive pas se concentrer et pense un peu trop à elle. Il aimerait lui écrire, mais dans quelles mesures est-ce que cela reste décent ? Il ne sait pas comment agir avec quelqu’un et c’est bien la première fois de sa vie que cela arrive. Son téléphone vibre, il l’attrape et lit le sms, un sourire tendre et sincère se dessinant sur sa face. Alors, elle l’a reçu ? Pinçant ses lèvres, il lui répond en essayant d’être le plus discret possible. Lentement, sa jambe droite remonte sur la gauche, et il se surprend à sourire encore, comme un abruti. Sourire qui ne le quitte plus vraiment pour le reste du cours d’économie, bien qu’il n’écoute plus rien.



Lorsqu’il la rejoint, il se rend compte qu’il est impatient, mais aussi, que sans le vouloir, ils sont quasiment habillés à l’identique. Lui avec son jean, son haut blanc et sa veste en faux cuir et ses boots de motard sans moto, elle avec ses bottines, sa paire de jeans, sa chemise blanche et sa veste. Là, face à elle, il ne bouge pas durant plusieurs secondes avant de parcourir les mètres qui les séparent, le coeur en vrac, l’estomac avec et un sourire sur les lèvres. Hésitant, il finit par déposer un baiser sur sa joue, comme celui qu’elle a laissé sur la sienne en lui disant au revoir, mais cette fois, c’est une caresse pour un bonjour. Il aimerait parler, mais rien ne vient. La contempler semble suffisant, mais il sait que ce n’est pas la chose à faire. Alors, il rougit, regarde autour d’eux. « Où aimerais-tu aller ? Je n’ai pas la voiture aujourd’hui. » La maison est à une quinzaine de minutes à pieds de la fac, son dortoir, cinq minutes à peine. « On peut prendre le bus cela dit... »

Elle baisse la tête. Elle n’a pas envie que ses élèves puissent la reconnaître, faire attention à elle. Pas qu’elle n’ait quoi que ce soit à se reprocher, elle va voir son beau-frère en tout bien tout honneur ! Mais elle n’a pas envie de se justifier. C’est sûrement pour le mieux. Ce sont ses heures de congés. Elle en fait ce que bon lui semble. N’est-ce pas ? L’air est doux, le temps est agréable. Pourquoi se priver d’une sortie ?

Elle voit d’abord les pieds de Han Bin. Elle sait que c’est lui, même si elle ne connaît pas l’intégralité de sa garde-robe, c’est comme ça. Elle relève enfin la tête vers lui, pour lui offrir son plus beau sourire. Il a l’air un peu timide, mais finalement, il vient vers elle, se penche et dépose un baiser sur sa joue. Lou rougit, baisse les yeux de contentement avant de revenir vers lui. Il la regarde, comme lors de cette soirée. Le coeur de Louise s’emballe, l’enveloppe d’une gêne pas si désagréable. Han Bin finit par rompre le silence. Lou a du mal à comprendre tout de suite de quoi il s’agit. « Ah, euh, il y une petite brasserie...c’est à une demi heure à pied ou... à deux arrêts de bus. » Ajoute-t-elle. Elle non plus n’a pas sa voiture. Elle préfère se déplacer en transports en commun autant que possible, même si Moon Bin passe son temps à lui dire d’engager un chauffeur.

Elle propose à Han Bin de se mettre en route. Elle en profite pour détailler un peu sa tenue. Il ne porte plus l’uniforme à l’université. Son style est si différent de celui pour la soirée caritative. Et pourtant, il a toujours autant de prestance. Son épaule frôle régulièrement le bras du jeune homme au rythme de leurs pas. Ils se dirigent vers l’arrêt de bus, mais peut-être voudra t-il marcher ? Elle demande. « Tu n’es pas trop fatigué ? Je sais à quel point le rythme scolaire coréen peut être rude…. » Elle marque une pause.« J’ai de nombreux étudiants qui piquent du nez pendant les visionnages de films. Je ne les reprends jamais. Je n’y arrive pas. » Résultat, ses étudiants l’aiment beaucoup. Lou sait que ça n’entamera en rien leur créativité de dormir à certains moment. Et c’est ce en quoi elle croit. La théorie n’est rien si on a pas la tournure d’esprit nécessaire pour écrire un scénario, inventer des histoires. « Et de toute façon, je n’en ai pas envie. Je ne suis pas une prof coréenne après tout. » Elle relève la tête vers Han Bin. « As-tu des professeurs étrangers ? »

« Ah, euh, il y une petite brasserie...c’est à une demi heure à pied ou... à deux arrêts de bus. » « Oh, d'accord. » Il sourit un peu. Elle a le don de trouver des lieux qui lui feront sans doute plaisir. Si c’est aussi bien que l’autre soir, il ne va pas avoir envie de retourner en cours. Ce n’est pas bien, il le sait bien… Mais ça le fait sourire, rien que de se dire qu’il pourra rester au moins deux heures avec elle. Et puis la vie reprendra son chemin, il ira en cours et ça sera mieux pour tout le monde de se dire que c’est simplement une suite de quelques heures pour marquer une fin. Ils ont passé une excellente soirée, elle veut le remercier pour le tableau. Il sait d’ailleurs, que lorsque son frère saura, il va lui poser des questions. Lui demander combien il a payé pour le rembourser. Comme si Han Bin l’avait acheté à sa place pour qu’il se fasse bien voir. Mais non. Il l’a acheté de lui-même, pour faire plaisir à Lou. Mais peut-il être honnête avec ça ?

Ils se mettent en route pour aller vers le bus, mais il préférerait marcher à vrai dire. « Tu n’es pas trop fatigué ? Je sais à quel point le rythme scolaire coréen peut être rude…. » « Ani, nous pouvons marcher et profiter du beau temps si tu veux. » Il sourit un peu, encore plus de voir qu’elle ne s’arrêter pas pour le bus. « J’ai de nombreux étudiants qui piquent du nez pendant les visionnages de films. Je ne les reprends jamais. Je n’y arrive pas. » « Je pense que les trois quarts des étudiants sud-coréens piquent du nez en cours à vrai dire… J’aimerai que ce système comprenne qu’on ne peut rien obtenir de performant de quelqu’un fatigué et sous pression... » Il hausse ses épaules doucement. C’est un fait, c’est rude en Corée. Il peut s’estimer heureux d’avoir un petit souci de coeur qui l’oblige à dormir au moins 8 à 9h sans que personne n’ait rien à lui dire sur ça. Mais encore une fois, il ne remplit pas son devoir de bon citoyen. « Et de toute façon, je n’en ai pas envie. Je ne suis pas une prof coréenne après tout. » Il sourit un peu sous cette remarque, puis tourne la tête vers elle. « As-tu des professeurs étrangers ? » « Mon professeur d’anglais. C’est un architecte anglo-finlandais qui semble sorti d’une autre planète. Tu sais, celui qui a des tenues très colorées et des nœuds de papillons. Je suis incapable de prononcer son nom, on l’appelle Mister B. » Il sourit à nouveau. « Il est extravagant, mais vraiment gentil. Il prend du temps pour nous. J’ai de la chance qu’il soit mon tuteur de master. »

il ose la regarder encore en réajustant son sac sur son dos. « Et toi alors ? Le tableau. Est-il beau en vrai aussi ? Où vas-tu l'accrocher ? J’espérai ne pas trop te gêner de te l’avoir acheté. Tu semblais tellement en amour devant. »

Il ne semble pas se poser de questions sur l’endroit où elle veut l’emmener déjeuner. Il doit se laisser la surprise. Cela ne la dérange pas après tout, maintenant qu’elle le connaît un peu mieux, elle est certaine de ne pas faire fausse route. La petite brasserie n’a rien d’exceptionnelle, elle n’est même pas cent pour cent végétarienne, mais elle dispose d’une carte variée et surtout, elle expose des artistes peu connus. Peut-être même qu’ils y trouveront d’autres oeuvres de cette mystérieuse Aein. C’est un petit clin d’oeil à leur très belle soirée, le côté mondain et maniéré en moins.

Leurs pas s’accordent le long du piétonnier. Elle relance la conversation. Elle essaie de ne pas se laisser envoûter par les sourires de Han Bin. Il confirme sa pensée. La fatigue des étudiants est un fait généralisé et pourtant non pris en compte. [color=darkorange] « Je suis fascinée de la capacité du système à se voiler la face. Quelque soit le pays. » Il hausse les épaules, elle le dévisage. Elle le questionne sur ses professeurs. Il répond avec le sourire, elle se met à pouffer. « Ah oui, je dois reconnaître que je me contente de l’appeler par son prénom. Il est également sympathique avec ses collègues ! »

Lou songe qu’elle pourrait, de temps à autre proposer des sorties détente entre professeurs. Mais ils ont toujours l’air si occupés et pressés de partir quand vient la fin de journée. Louise mène finalement une “vie de rêves” en terme d’horaires. Elle doit travailler moitié moins que la plupart des coréens. Han Bien lui demande comment est le tableau. « Il est superbe, encore plus…..saisissant je dirais. Encore merci pour ça d’ailleurs. Je dois avouer que sur le coup, je n’ai pas pensé au fait de pouvoir le prendre pour moi-même… » Trop obnubilée qu’elle était par l’idée qu’il faille plaire à son mari. Elle explique. « Je vais définitivement l’accrocher dans mon bureau. C’est mon antre. » Elle sourit mystérieusement. « Tu pourras venir l’admirer de tes propres yeux si tu veux. » Elle se surprend elle-même, elle a osé. Elle s’éclaircit la gorge, regardant à nouveau devant elle.

Lou revient sur le sujet du tuteur. « Tu rédiges un mémoire alors ? Tu as choisi un sujet qui t’intéresse ou est-ce imposé ? Si jamais tu as besoin d’une relecture de quelqu’un qui n’y connait pas grand chose en architecture pour un peu d’objectivité… » Lou lève la main avec un petit sourire.

 « Ah oui, je dois reconnaître que je me contente de l’appeler par son prénom. Il est également sympathique avec ses collègues ! » « il a toujours le sourire, ça fait plaisir à voir. » Pourtant, de ce qu’il a entendu, il serait veuf. Comment est-ce qu’on arrive se remettre de ce genre de deuil ? Est-ce que ce n’est qu’une façade ? Essayant de penser à autre chose, il s’empresse de lui demander comment est le tableau. Il n’a pas eu l’occasion de le voir puisqu’il a été envoyé directement chez son frère. « Il est superbe, encore plus…..saisissant je dirais. Encore merci pour ça d’ailleurs. Je dois avouer que sur le coup, je n’ai pas pensé au fait de pouvoir le prendre pour moi-même… » « Hn, Moon Bin en premier. » Et il ne dit pas ça comme un reproche. C’est simplement la réalité des choses, mais il aimerait presque que ça ne la réveille. Il ne méritait pas qu’elle pense autant à lui ce soir et cherche à le rendre heureux. Il espère même que le tableau qu’ils ont pris pour lui, lui fera se poser de sérieuses questions. Mais il en doute fortement. Il est bien trop pris par sa carrière pour s’attarder sur ce genre de détails. Et il le sait que son frère pense être un époux idéal, meilleur que la moitié des coréens… « Je vais définitivement l’accrocher dans mon bureau. C’est mon antre. » Il sourit en réponse au sien et la regarde encore. « Tu pourras venir l’admirer de tes propres yeux si tu veux. » « J’aimerai beaucoup... » murmure-t-il humblement avant de fixer à nouveau ses pieds, puis la route devant eux.

« Tu rédiges un mémoire alors ? Tu as choisi un sujet qui t’intéresse ou est-ce imposé ? Si jamais tu as besoin d’une relecture de quelqu’un qui n’y connait pas grand chose en architecture pour un peu d’objectivité… » « Ani, c’est un sujet libre et assez passionnant à mon sens. Enfin, c’est moi qui l’ait monté, donc forcément, je le trouve passionnant. Et je serai ravi que tu puisses me relire... » Il rit un peu et enfonce ses mains dans ses poches. « C’est hum… comment expliquer... » fronçant un peu le nez et les sourcils, il redresse la tête. « C’est pour se questionner sur l’impact que le monde moderne a sur les monuments historiques. » Son minois se tourne à nouveau vers elle. « L’enjeu de la pollution, le tourisme de masse, le fait aussi que malgré les restaurations qui doivent être faites de manières rigoureuses et semblables aux techniques du passé, ce n’est concrètement pas possible, est-ce que tout cela, dénature l’oeuvre ? Est-ce qu’au lieu de faire de la préservation, on ne devrait pas juste laisser le temps agir. Les pyramides ont survécu des millénaires. C’est l’époque moderne qui les abîme... » Il sourit un peu. « Je crois que je vais faire plus de pages que nécessaire, j’ai déjà écrit une grosse partie de mon travail, et c’est seulement pour le M1. Ça sera ma base de travail pour le M2 aussi. Mr B pense que je devrai faire une thèse et un doctorat sur le sujet. Je ne sais pas si je suis prêt à rester encore étudiant un moment... » Il la regarde, souris un peu, la suit dans le chemin pour aller vers la petite brasserie.

Le sujet du professeur semble laisser Han Bin pensif. Lou se remémore ses bons moments avec son collègue. Elle ne l'a jamais vu négatif, bien qu'elle l'a surpris, à certains moment, être triste. Mais jamais il n'a laissé peser cette tension sur qui que ce soit. Le magnifique tableau revient au centre de la conversation, et bien évidemment, Moon Bin. Son jeune frère ne semble pas surpris. Mais il n'a pas l'air enjoué non plus, qu'elle le fasse passer avant tout. Du moins, c'est ainsi que Lou le ressent. Cela fait déjà quelque temps, qu'elle a l'impression que les choses ne vont que dans un seul sens. Moon Bin ne s'aperçoit même pas de la tristesse peinte sur le visage de sa femme lorsqu'ils sont attablés ensemble. Comment le pourrait-il le nez sur son écran ?

Lou préfère penser à autre chose. Han Bin a l'air tout à fait motivé à venir voir l’œuvre par lui-même. « C'est la moindre des choses, puisque c'est toi qui me l'a offert. » Son ton n'est que ravissement. Et puis elle le questionne sur ses études. Alors qu'elle s'attend à ce qu'il lui dise qu'il préférerait parler d'autre chose, il se lance dans une explication passionnée. Lou est ravie. Au moins, il ne s'enterre pas dans des études qu'il déteste. Il approuve déjà la relecture. La jeune femme en est heureuse et plus il parle de son sujet, plus elle se dit qu'elle va en apprécier la lecture. « Wow....j'ai hâte de pouvoir te lire ! Tu as l'air si passionné par ton sujet que je suis certaine que tu le rendra intéressant pour n'importe qui. » Elle pouffe en pensant à son collègue lorsque Han Bin l'appelle encore Monsieur B. Comme s'il s'agissait d'un agent secret. « Et bien monsieur B peut attendre que tu aies fini cette première étape pour te décider ! »

Ils arrivent à la petite brasserie qui, comme à peu près tous les restaurants et tous les cafés, a une grande baie vitrée, dévoilant de nombreux feuillages et des tables en bois. Lorsqu'ils entrent, un léger carillon se fait entendre, et déjà une serveuse vient à leur rencontre. Lou requiert une table pour deux. Elle fait un signe de tête à Han Bin pour qu'ils commencent à suivre la jeune femme à travers les petits espaces recouverts d’œuvres, peintes ou dessinées. Les prunelles de Lou parcourent rapidement les couleurs et les formes, se promettant de venir y jeter un regard plus minutieux après manger.

La serveuse attend qu'ils soient tous les deux assis pour leur présenter les menus. Lou demande. « Pourrais-t-on avoir de votre délicieux thé glacé ? » La serveuse hoche la tête, comprend qu'ils ne commanderont qu'après. Lou en profite pour tourner la tête vers Han Bin. « Comment trouves-tu l'endroit ? C'est très chaleureux tout ce bois et ses plantes. Et puis avec les tableaux... » Elle pose ses coudes sur la table et pose son menton sur ses mains, comme lors de la soirée quelques jours plus tôt. Han Bin est resplendissant, et elle voit les regards se tourner vers lui. « Tu as un succès fou auprès de la gente féminine. » Elle baisse un peu les yeux, avant de revenir timidement vers lui.

Elle ouvre la bouche pour lui demander s'il a une petite amie, mais la voix claironnante de la serveuse l'interrompt. « Un thé glacé pour deux ! Vous faites un si beau couple ! » Lou regarde tour à tour le verre avec les deux pailles et la jeune femme avec des yeux ronds. « On..on est pas.. » Commence-t-elle à bégayer.

 « Wow....j'ai hâte de pouvoir te lire ! Tu as l'air si passionné par ton sujet que je suis certaine que tu le rendra intéressant pour n'importe qui. » « Hn, j’aime tellement ça que je pourrai en parler pendant des heures ! » Son sourire se fait rieur de bonheur lorsqu’il y songe. Ecrire son mémoire et le présenter ne le stresse pas vraiment. Il sait que ce sera bon. Il sait aussi par contre que les juges peuvent ne pas être objectifs. « Et bien monsieur B peut attendre que tu aies fini cette première étape pour te décider ! » « Hn... » laisse-t-il en suspension. Il ne supportera pas d’être étudiant ici pour encore 3 ou 4 ans.

Le carillon qui scintille et sonne finement lui fait lever la tête pour admirer le travail minutieux autour de cet objet. Puis, le reste de la brasserie s’offre à eux. Du blanc au mur, des plantes partout, du bois brut pour les meubles. Il se perd dans sa contemplation et suit les jeunes femmes mécaniquement. Il observe les tableaux, peintures et photographies accrochées aux murs, et il s’arrête devant un paysage semblant féerique. La serveuse le ramène dans la réalité et il s’installe enfin face à Lou. « Pourrais-t-on avoir de votre délicieux thé glacé ? » La serveuse hoche sa tête et les laisse rapidement. Il la regarde à nouveau, subjugué par l’endroit. Encore plus par elle. C’est comme si le charme du lieu l’embellissait. Comme si cela était possible. « Comment trouves-tu l'endroit ? C'est très chaleureux tout ce bois et ses plantes. Et puis avec les tableaux... » « Je crois que ça va devenir un de mes endroits favoris. » Clairement, il reviendra ici durant ses longues pauses. « Tu as un succès fou auprès de la gente féminine. » « Hé ? » Il la regarde un peu surpris avant de voir les regards de certaines personnes sur lui et rougir en baissant la tête. Il s’en fiche bien, d’elles…

« Un thé glacé pour deux ! Vous faites un si beau couple ! » Son regard élégant se pose sur la serveuse et un maigre sourire vient sur son visage. « On..on est pas.. » « Merci... » Dit-il alors dans un sourire, coupant les hésitations de Lou. « Nous prendrons deux menus végétariens, modérément épicé pour les deux s’il vous plaît. » Il n’aime pas décider à la place des autres, mais c’est sans doute mieux que de se faire interrompre encore. Son regard se pose à nouveau sur elle. « Pardonne-moi… Je préfère que l’on me pense avec toi et être tranquille plutôt que d’être mal à l’aise avec des regards insistants. » Son sourire se fait doux, tendre, sincère. Et puis, c’était si doux, ce que son coeur lui a fait ressentir lorsqu’elle a évoqué leur couple. Il veut garder encore un peu cette chaleur en lui. « Hm… Il y a une exposition en ville ce week-end sur l’oeuvre de Victor Hugo à l’ambassade française. Aimerais-tu venir avec moi ? » Il est fou. Il ne devrait pas, il le sait bien. Pourtant, il ne peut s’en empêcher. Il voudrait passer plus de temps avec elle.  

Lou laisse le temps à Han Bin de s'installer avant de l'assaillir de questions. Il semble charmé par les lieux, au moins tout autant qu'elle la première fois qu'elle était venue. Avec Enorah, une amie anglaise de passage qui avait dégoté la brasserie. Les deux jeunes femmes y avaient passé la journée entière pour le plus grand plaisir des tenanciers. Enorah était repartie avec un triptyque sur le thème de la lune, d'une petite taille mais d'une assez grande valeur. Louise finit par craquer et demander à Han Bin comment il trouve les lieux, même si son visage est assez explicite. Elle trépigne intérieurement, ses yeux pétillent, même si elle a l'air calme en apparence. Il annonce qu'il considère déjà l'endroit comme un lieu où il prévoit venir souvent.

Lou capte les regards sur eux, mais finalement, surtout sur lui. Elle doit admettre qu'elle est ravie d'être aux premières loges pour sa part. C'est taquine qu'elle lance à Han Bin qu'il a du succès. Ce dernier qui n'y avait pas fait attention semble surpris. Elle éclate de rire, il est si adorable. Finalement la serveuse arrive, semant le chaos dans l'esprit de Lou. Pas que l'affirmation soit déplaisante en soit, mais, il y a plusieurs critères à prendre en compte. Elle est mariée, ils ne sont pas en couple, et surtout, elle s'en veut d'apprécier le malentendu en question. Alors, sous l'effet du trouble, elle bégaie à n'en plus finir.

A sa grande surprise, Han Bin se contente de répondre merci avec le plus charmant des sourires avant de commander des menus végétariens dans le plus grand des calmes. Lou le regarde éberluée. Une fois la serveuse repartie, il s'explique. La bouche de Lou ne laisse passer aucun son même si elle forme un « oh » de surprise. C'est donc cela.  « D'accord, je comprends. »  Elle est chamboulée, rougissante. Elle a déjà joué les fausses petites amies, à plusieurs reprises même, mais jamais elle n'avait été aussi perturbée par l'idée. Pour se sortir de ce trouble grandissant, la meilleure arme de Lou revient en avant : l'humour.  « Et bien je suis flattée qu'une vieille comme moi peut incarner le rôle. »  Elle lui offre un clin d’œil sous entendu avant de se redresser sur sa chaise et d'inspirer profondément pour reprendre son sérieux.

Han Bin reprend la conversation, elle sourit à nouveau, son cœur recommence à faire des cabrioles. Décidément, il a le don de lui faire faire des exercices cardiaques ce jeune homme !  « Oui, j'aimerais beaucoup ! »  Et puis elle ajoute : « Tu cherches ce genre d'évènements par toi-même ou est-ce que tu as des contacts qui t'informent ? Je n'ai des retours que de l'ambassade anglaise, et à part une exposition sur Shakespeare, ils ne proposent pas grand chose d'innovant. » Son regard dévale les traits de son compagnon jusqu'à son menton, puis jusqu'à sa pomme d'Adam. Elle déglutit un peu. Elle glisse sa main vers l'immense verre pour saisir une paille entre ses lèvres et aspirer un peu de thé. Bon sang, à quoi pense-t-elle ?

 « D'accord, je comprends. » En vrai, il a un peu trop aimé cette idée de les penser en couple et il doit vraiment se donner une gifle mentale pour avoir une parfaite explication logique. Il se sent idiot. Pour qui va-t-elle le prendre à force hn ? En tout cas, il espère mieux la traiter que son aîné lorsqu’ils sont ensemble. C’est important pour lui. Plus qu’il ne voudrait se l’avouer à vrai dire. « Et bien je suis flattée qu'une vieille comme moi peut incarner le rôle. » « Yah… On a quoi… 5 ans d’écart ? Quelque chose comme ça ? Tu n’es pas si âgée. Et quand bien même, tu es plus intéressante et... » belle ? Magnifique ? « …. et… brillante que la plupart des gens que je connais. » Oui, il vient bien d’utiliser deux adjectifs pour dire la même chose quasiment, mais ça le sauve un peu, enfin, il espère.

Pourtant, comme un abruti, il lui parle de l’exposition sur Victor Hugo. Il lui propose. Il a envie de la revoir malgré tous les interdits qui se posent sur ça. Est-ce qu’il peut réellement faire autant de sorties et de choses intéressantes avec la femme de son frère ? Il n’en sait rien en ce moment. Sa raison semble confuse. « Oui, j'aimerais beaucoup ! » Il sourit. « Tu cherches ce genre d'évènements par toi-même ou est-ce que tu as des contacts qui t'informent ? Je n'ai des retours que de l'ambassade anglaise, et à part une exposition sur Shakespeare, ils ne proposent pas grand chose d'innovant. » « J’aime bien Shakespeare, » lance-t-il sans doute trop rapidement. « Je cherche beaucoup... » avoue-t-il dans un sourire avant de voir Lou se rapprocher du verre. Il hésite longuement, mais se penche en même temps, prend la seconde paille entre ses lèvres. Leurs souffles se mélangent et il se sent fébrile de cette proximité interdite. La serveuse revient avec les plats du brunch. Il sourit, se recule, prend une photo pour le souvenir et commence à manger tout en n’osant pas regarder Louise après ce qu’il vient de faire…

« Moon Bin est content du tableau ? » Le ramener entre eux, comme pour s’imposer sa présence. Comme pour se rappeler qu’il est là et que lui, petit cadet, n’a aucun droit, aucune envie à avoir.