Vraiment, il faut qu’il parle à son Hyung, même si ce dernier va lui lancer qu’il n’a aucune leçon à lui donner et encore moins pour lui parler de son mariage. Mais savoir qu’aucun repas n’a été prévu pour elle lui tord un peu trop les tripes, il doit bien l’avouer. « Avec plaisir. Mais si tu changes d'avis, je peux t'inviter aussi ! » Son sourire lui fait un peu perdre le fil du temps durant quelques secondes, et puis, il se reprend. Souriant à son tour, dans une douceur infinie… « Ani, je serai ravi de t’offrir un repas après cette soirée. » Il allait ajouter ratée, mais l’est-elle vraiment ? Même lui n’arrive pas à le savoir. Lou prend sa main dans la sienne pour traverser la salle, geste spontané qui lui met du rouge aux joues contre toute sa bonne volonté. Il ne devrait pas se sentir toute chose pour un geste pareil non ? Et comme un rappel à l’ordre, l’alliance de Louise le ramène dans le droit chemin. Il se content alors de regarder devant eux sans rien ajouter de plus. « Allons-y oui ! » dit-elle en ayant une sorte de regain d’énergie qui le fait doucement rire.

Il se poste alors dans son dos pour pouvoir regarder le catalogue avec elle, faisant attention à sa robe de princesse pour ne pas marcher dessus. De son côté, il enfonce ses mains dans ses poches pour regarder le tout sans avoir la tentation de déposer sa main sur son bras. « Oh regarde ! Celui-là est magnifique ! » Il observe alors le tableau. « Il me fait penser à un poème de Victor Hugo... » Retenant le numéro de l’oeuvre rapidement, il réfléchit alors et commence à réciter le poème dans un français plutôt bon, même si son accent ressort par moment.

« Tu me parles du fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l’écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.

Je suis l’algue des flots sans nombre,
Le captif du destin vainqueur ;
Je suis celui que toute l’ombre
Couvre sans éteindre son coeur.

Mon esprit ressemble à cette île,
Et mon sort à cet océan ;
Et je suis l’habitant tranquille
De la foudre et de l’ouragan.

Je suis le proscrit qui se voile,
Qui songe, et chante, loin du bruit,
Avec la chouette et l’étoile,
La sombre chanson de la nuit.

Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Ame, c’est-à-dire problème,
Et femme, c’est-à-dire exil ?

Sors du nuage, ombre charmante.
O fantôme, laisse-toi voir !
Sois un phare dans ma tourmente,
Sois un regard dans mon ciel noir ! »

Lorsqu’il se rend compte de sa longue tirade, il s’arrête avec ce sentiment que le temps flotte autour de lui, comme s’il était en suspend… Puis, il rougit et tousse un peu. « Pardon… J’adore la poésie, je me perds souvent dedans... » Et encore, il s’est arrêté à la moitié de la récitation. Rougissant à nouveau, il finit par aller sur l’application de la vente aux enchères, entre le numéro de l’oeuvre pour ne pas la scanner devant elle et fait son enchère en arrivant à calculer assez précisément le prix qu’elle coûterait dans le commerce en fonction de la période de création, les techniques utilisées et la renommée du peintre. Dans son cas, il a de la chance que Lou n’ait pas des goûts de luxe immondes, mais de bons goûts. L’artiste est peu connue et il fait une enchère assez élevée en espérant que ça sera suffisant. Les coréens ne sont pas friands d’oeuvres lorsque des femmes les ont créé. Il a ses chances et puis son regard se pose à nouveau sur le visage de Lou. Il devrait parler, lui poser des questions mais il se tait, range discrètement son téléphone.  

Visiblement il n'est pas question de discuter l'invitation de Han Bin. Peu importe, ce sera l'occasion pour Lou de l'inviter à manger elle aussi. Elle s'avance peut-être en s'imaginant qu'elle aura de nouveau envie de passer du temps avec lui, peut-être que le dîner sera une catastrophe ? Mais elle n'y croit pas, absolument pas. Elle entraîne le jeune homme sans plus de cérémonies vers le redoutable catalogue. La vente aux enchères était une affaire de gens riches. Mais Lou la tolère parfaitement quand il s'agit de soulever des fonds pour les bonnes causes.

Son attention se porte sur l’œuvre qu'elle a repéré, l'empêchant de songer à la paume de sa main qui tenait fermement celle de Han Bin. Il a les mains chaudes, douces, chaleureuses. Une chaleur qui remonte au cœur et y applique un baume de douceur. Consciente que ce genre de constatation la mènerait sur un chemin houleux, Lou se jette à corps perdu dans la contemplation du tableau, afin de ne pas laisser ses pensées dériver. « J'aimerais vraiment voir à quoi il ressemble en réalité. » murmure-t-elle plus pour elle-même. Et puis la voix de Han Bin lui fait redresser la tête. « Ah oui ? Tu connais cet auteur français ? » Le ton est impressionné et ravi. La surprise de prime abord s'était dissipée. Après tout, il avait étudié à l'étranger.

Lou se tourne vers lui, le voyant prendre une inspiration, elle ne s'attend pas à ce qu'il déclame un des rares poèmes qu'elle connaît en entier de Victor Hugo. Les yeux agrandis d'admiration, elle écoute sagement la voix de Han Bin déclamer mélodieusement le magnifique texte de l'auteur. Il a raison. Le texte et l’œuvre se lient à merveille. La bouche entrouverte par la surprise et la fascination, Lou finit par sourire. Han Bin s'excuse pour son emportement, plongeant son regard sur son écran de téléphone, les joues rosissantes. Hésitant entre le fait d'être simplement troublée ou attendrie, l'esprit de Louise lui fait bousculer la suite du poème sur le bout de sa langue, alors elle attend un peu qu'il relève la tête et déclame à son tour :

« Cherche-moi parmi les mouettes !
Dresse un rayon sur mon récif,
Et, dans mes profondeurs muettes,
La blancheur de l’ange pensif !
Sois l’aile qui passe et se mêle
Aux grandes vagues en courroux.
Oh, viens ! tu dois être bien belle,
Car ton chant lointain est bien doux ;
Car la nuit engendre l’aurore ;
C’est peut-être une loi des cieux
Que mon noir destin fasse éclore
Ton sourire mystérieux !
Dans ce ténébreux monde où j’erre,
Nous devons nous apercevoir,
Toi, toute faite de lumière,
Moi, tout composé de devoir !
Tu me dis de loin que tu m’aimes,
Et que, la nuit, à l’horizon,
Tu viens voir sur les grèves blêmes
Le spectre blanc de ma maison.
Là, méditant sous le grand dôme,
Près du flot sans trêve agité,
Surprise de trouver l’atome
Ressemblant à l’immensité,
Tu compares, sans me connaître,
L’onde à l’homme, l’ombre au banni,
Ma lampe étoilant ma fenêtre
A l’astre étoilant l’infini !
Parfois, comme au fond d’une tombe,
Je te sens sur mon front fatal,
Bouche de l’Inconnu d’où tombe
Le pur baiser de l’Idéal... »

Les Contemplations de Victor Hugo étant incroyablement longues, Lou s'arrête, presque à bout de souffle à la moitié des vers restants. Elle s'est presque emportée, faisant fi des quelques têtes curieuses dans leur direction. Son regard est focalisé sur celui de Han Bin, elle se sent particulièrement reliée à lui. A-il étudié ce qu'elle aime avant de venir la chercher ou a-t-il vraiment les mêmes centres d'intérêts, et il semblerait, les mêmes convictions ? Elle ne sait plus quoi penser. Cela la perturbe, l'exalte. Finalement, elle fuit son regard pour le reporter sur le catalogue. « Hum, ce tableau ne plaira pas à Moon Bin, ce n'est pas assez sérieux pour lui...tu m'aides à trouver quelque chose qui lui plairait s'il te plaît ? » Les joues rosissantes, son regard se porte sur l'alliance à sa main, celle qui tourne les pages. Un petit soupir lui échappe, relâchant la tension.

 Il n’ose pas la regarder lorsqu’il entame alors le poème et ne peut se délecter des émotions qu’il pourrait lire sur le visage de la jeune femme. A vrai dire, il se l’interdit complètement pour ne pas chavirer d’une certaine façon. C’est idiot n’est-ce pas ? Et l’alliance à la main de Louise le ramène souvent sur la réalité des choses. Elle est sa belle-sœur. Une personne qu’il devrait traiter comme étant sa propre sœur… Cette pensée le fait presque grimacer. Non, il n’a pas envie de la voir comme un membre de sa famille, pas ce soir. Jamais en fait. Elle est trop bien pour ça.

L’étonnement continue lorsqu’elle clame une partie du poème à son tour et cette fois, il ne peut s’empêcher de la regarder dans les yeux pendant ce moment où encore, le temps semble flotter autour d’eux. Il n’entend même pas les petits ragots qui commencent à se former. Emmener la femme de son frère aîné et la regarder autant ? Pour qui se prend-t-il ce petit effronté ? Il fait presque une offense à certaines personnes sans même s’en rendre compte. Elle est plus intéressante.

Louise est la première à rompre le contact visuel et il rougit à nouveau, baisse un peu la tête… « Hum, ce tableau ne plaira pas à Moon Bin, ce n'est pas assez sérieux pour lui...tu m'aides à trouver quelque chose qui lui plairait s'il te plaît ? » Encore, elle pense à lui ? Encore, alors qu’il n’a pas daigné préciser qu’elle est végétarienne ici ? Un soupir lui échappe. Ronchonnant dans son coin, il fait cependant ce qu’elle demande. « Il me semble qu’un Mondrian est aux enchères. Il a beau être connu, je n’ai jamais su apprécier ses œuvres. » Tournant les pages assez rapidement puisque les œuvres sont classées par ordre alphabétique des noms des artistes, il arrive rapidement à la bonne section et lui montre, d’un air amusé et fier, avant de faire une estimation, un calcul rapide dans sa tête. Il lui murmure alors la somme tout bas dans le creux de l’oreille pour qu’elle puisse faire l’enchère au nom de son mari.

Une fois fait, le voilà qui lui tend à nouveau le bras dans un sourire. « Et si nous allions dîner ? » Il a faim, l’ambiance le pèse, il veut pouvoir la regarder sans avoir à sentir des murmures sur eux. Elle le suit, il sourit à nouveau, salue encore quelques personnes, et s’en va discrètement avec elle pour retourner à la voiture que le chauffeur ramène. « Où veux-tu aller ? » demande-t-il en lui ouvrant la portière avant de s’installer.  

L'intensité de leur échange visuel les perturbe tous les deux. Lou est soulagée, quelque part, de constater ça. Elle n'a pas l'occasion de le voir rougir alors qu'elle même se fait rappeler à l'ordre par sa conscience et par le poids terriblement écrasant des regards et des murmures réprobateurs venant des autres invités. Elle doit se comporter correctement pour ne pas faire honte à la famille de son mari, parmi tous ces potentiels investisseurs, tous ceux qui ont la capacité de briser une réputation par une simple parole. Elle se contrefiche de sa réputation à elle. En revanche, Han Bin n'a pas encore fait sa place dans ce monde, elle refuse de couper court à l'avenir prometteur qui se trace devant lui.

Elle doit parler de Moon Bin, distinctement, pour rappeler à tous que c'est lui qui compte, qu'elle est une épouse respectable et non prompt à la frivolité. Elle soupire, tendu au-dessus du catalogue, cherchant une peinture qui ressemble à l'âme de son mari. La voix de Han Bin évoque un artiste. Il doit savoir qui plaît à son aîné. Lou ose enfin se tourner vers lui, intéressée. Inconsciemment, elle est certaine que si ça ne plaît pas à Han Bin, cela plaira à Moon Bin. « Vendu, je prends celui-là. » Elle lui adresse un sourire reconnaissant et déterminé, le laissant tourner les pages jusqu'à arriver à la bonne.

Lou est en train de sortir son téléphone depuis son sac à main lorsqu'elle sent le souffle de Han Bin lui murmurer le prix, pour le moins exorbitant, de l’œuvre en question. Mais ce n'est pas le prix estimé qui la fait frissonner. Les effluves du parfum de Han Bin lui parviennent. Aussi discret et délicat que lui. La chaleur qui émane de lui, de sa présence, durant ces quelques instants, augmente son rythme cardiaque. Et elle n'a même pas l'excuse de l'alcool pour se rassurer. Le regard perdu sur l'écran noir de son téléphone, elle finit par le déverrouiller pour accéder à l'application et entrer toutes les données nécessaires. Il faut qu'elle se reprenne. Elle est simplement enthousiasmée à l'idée de rencontrer quelqu'un qui a les mêmes centres d'intérêts.

L'homme en question lui présente d'ailleurs son bras. Le sourire aux lèvres. D'abord hésitante, Lou ne peut s'empêcher de lui sourire en retour. « Oui, allons-y. » Ils s'avancent, saluent poliment et quitte enfin la pièce. Louise ne peut s'empêcher de pousser un long soupir de soulagement, mais elle attends d'être dans la voiture pour pester sur l'ambiance pesante de la soirée. Elle tourne son visage vers Han Bin qui lui demande la destination suivante. Elle se laisse quelques instants puis finit par lâcher. « Le Veggie dream, tu connais ? C'est un peu loin d'ici, mais vu l'heure, il n'y aura pas grand monde sur la route. » Elle lui sourit avant d'ajouter. « Merci Han Bin. » Sa voix se fait douce lorsqu'elle prononce son prénom. « Je ne te ferais pas l'outrage de t'appeler Oppa ! » Ajoute-t-elle avec un clin d’œil. Elle pouffe, ravie de sa propre blague avant de se pencher vers le GPS pour indiquer l'adresse du restaurant. Elle en profite pour allumer la radio. La mélodie à la fois douce et rythmé d'un groupe récent se glisse dans l'habitacle, y apportant une chaleureuse ambiance.

 Il se sent terriblement soulagé lorsqu’ils entrent tous les deux dans la voiture. Vraiment. S’attachant et veillant à ce qu’elle le fasse bien aussi, il prend alors la route, au moins pour sortir du parking de la tour. « Le Veggie dream, tu connais ? C'est un peu loin d'ici, mais vu l'heure, il n'y aura pas grand monde sur la route. » « J’en ai entendu parlé. Je voulais essayer. » Il lui sourit tendrement et commence à se concentrer. « Merci Han Bin. » « Ani... » fait-il dans un petit souffle, rougissant à nouveau. Elle n’a pas à le remercier. « Je ne te ferais pas l'outrage de t'appeler Oppa ! » Cette fois-ci, il rit doucement et arbore un de ses plus beaux sourires. Ceux qu’il n’a pas besoin de contenir parce que les gens sont autour. Il profite simplement du moment avec elle jusqu’à entendre la musique et commencer à chanter sans trop réfléchir, connaissant les paroles par coeur. Il aime bien ce groupe.

Le temps passe vite sur la route parce qu’ils s’amusent. Pendant un temps, ils oublient. Ils se mettent à chanter à tue-tête les chansons de la radio ou certaines qu’ils choisissent eux-mêmes. Comme un défi, il essaie de la faire chanter sur Jinjin jara de Tae Jin-Ah. Et quel moment. Vraiment. Sans doute un souvenir qu’il gardera longtemps. Lorsqu’il se gare, un fou rire s’empare de lui et il sort, fait le tour de la voiture, ouvre la portière de Lou et lui tend la main sans s’arrêter de rire. Non, il ne se moque pas d’elle, c’est tout le contraire. C’est comme si cet instant semblait tellement parfait qu’il lui avait décroché une sorte d’euphorie.

Entrant avec elle dans le restaurant avec leurs beaux habits, ils ne passent pas du tout inaperçus… Riant encore, il essaie de se calmer et de reprendre son sérieux avant d’aller se poser avec elle à une table du fond, sur les banquettes. Il est certain ainsi que personne ne marchera sur la robe de la scénariste. Souriant, il regarde le menu en reprenant un peu de contenance et soupire. « Je ne sais pas quoi prendre, et si on commandait un peu de tout ? On aura qu’à emporter les restes. On partage les plats, les entrées, les desserts, » propose-t-il dans un sourire tendre en se perdant encore un peu trop dans ses magnifiques yeux noisettes. Vivre un soir comme si demain n'existait pas.« Choisis pour nous deux, je te fais confiance… »   

Cela la fait pouffer, lorsqu'il vérifie qu'elle a bien sa ceinture. C'est de là que lui vient l'envie de le taquiner en suggérant qu'elle aurait pu l'appeler Oppa. Il est si adorable à rougir timidement à chaque remerciement, à chaque compliment. N'en reçoit-il jamais ou est-ce qu'il est naturellement humble ? Lou se mordille un peu la lèvre. Il faudrait qu'elle arrête de s'emporter comme ça. Le reflet métallique de son alliance la rappelle une fois de plus à l'ordre. C'est qu'en deux ans de mariage, la passion des débuts s'est éteinte et cela lui manque, de se sentir femme, belle, attirante. Et surtout, que quelqu'un soit attentif à elle, pour de vrai.

Lou lâche sa plaisanterie maladroite, le rire de Han Bin résonne dans l'habitacle accompagné d'un sourire qui fait manquer un battement au cœur de Louise. Elle secoue légèrement la tête, masquant son trouble dans son propre rire, s'appliquant à régler le GPS. Et puis la musique prend le relais. Il n'y a plus besoin de discuter. Han Bin se met à chanter sous le regard surpris de Lou qui se joint à lui. Oh elle ne chante pas aussi bien, mais elle se débrouille. Elle ne connaît pas tout non plus, alors elle contribue à imiter les instruments en fond. Un rire la secoue lorsqu'elle se rend compte que ça ne ressemble pas à grand chose ce qu'elle fait, mais ils rigolent bien, c'est ce qui compte.

L'arrivée à destination se fait plus rapidement qu'elle ne l'aurait cru. Han Bin sort de la voiture venant ouvrir à Lou, occupée à rassembler ses jupons pour sortir du véhicule sans tomber. Elle le surprend pris d'un fou rire si communicatif qu'elle explose de rire à son tour en s'emparant de sa main pour descendre. « On est prêts pour notre numéro je crois ! » Sa cheville se tordit légèrement mais elle rattrapa son équilibre avant de s'étaler sur lui.

Leurs pas les mènent à l'intérieur du restaurant spécialisé dans la nourriture végétarienne. Lou n'arrive pas à retrouver son sérieux, car à chaque fois qu'elle regarde Han Bin, le fou rire la reprend. Ça doit être nerveux, toute la tension de la soirée mondaine est en train de s'évaporer. Elle se fiche des regards sur leurs tenues. Pourquoi ne pourrait-on pas venir bien habillé dans ce genre de restaurant ? Elle suit Han Bin jusqu'au fond de la salle, là où des tables un peu plus à l'écart sont disponibles. Han Bin est le premier à s'emparer du menu pendant que Lou observe la décoration très chaleureuse. Sans parler de la musique, agréable. Elle décide que ce sera son nouveau QG.

Son regard se porte de nouveau sur lui. Il a retrouvé un peu de sérieux. Elle en profite pour l'observer tandis qu'il décortique la carte. Il est mignon avec son air concentré, finalement, il soupire, presque désespéré devant tant de choix. Lou se met à pouffer avant de s'exclamer. « Je suis partante ! » Sa voix s'éteint lorsqu'ils échangent un long regard. Elle se promet de chérir le souvenir de cette belle soirée avec lui. Il lui glisse la carte sous les yeux, rompant le charme. Lou rougit avant de plonger sur les nombreux noms de plats. « Ouh, tu me mets la pression là. Est-ce que tu manges épicé ? J'adore ça, mais j'en pleure à chaque fois... » Elle se remet à rire.

Les nombreux plats commandés, Lou reprend la conversation. « Je repense à ce que tu m'as dit en début de soirée...tu prévois donc vraiment d'aller vivre et travailler à l'étranger par la suite ? Les grosses villes comme New York sont-elles agréables à vivre ? » Il lui semble finalement logique qu'il n'ait pas envie de rester en Corée, esprit libre qu'il est. Il y serait probablement malheureux. Lou songe aux familles où l'aîné reprend l'affaire familiale, et les cadets, eux, cela dépend. Ils ont une certaine liberté que leurs aînés n'ont pas. Ses coudes sur la table, elle dépose son menton sur le plat de ses mains pour écouter attentivement la réponse de Han Bin, ses yeux de biches posés sur lui.

 « Je suis partante ! » Lui qui pensait avoir dit une ânerie, le voilà rassuré. Et puis ensuite, il y a cet échange qui lui fait un peu trop trembler le coeur, et il l’apprécie autant qu’il le regrette. Alors, il essaie de la concentrer sur le menu, et par la même occasion, de souffler un peu en reprenant ses esprit. Elle est une bouffée d’air frais depuis son retour, c’est ça qui le perturbe, rien de plus. « Ouh, tu me mets la pression là. Est-ce que tu manges épicé ? J'adore ça, mais j'en pleure à chaque fois... » « Hn, ça me va, on pleurera ensemble. » Il sourit un peu et se cale dans le fond de la banquette en croisant ses longues jambes, son corps légèrement tourné vers elle.

Il la laisse commander et reste sage le temps que cela arrive. Le silence n’est pas étrange entre eux, c’est comme un moment juste tranquille, juste tendre. Et puis, les plats arrivent. On dirait qu’ils ont commandé pour quatre au moins, mais ça lui va. Il sait que tout pourra être emporté. « Je repense à ce que tu m'as dit en début de soirée...tu prévois donc vraiment d'aller vivre et travailler à l'étranger par la suite ? Les grosses villes comme New York sont-elles agréables à vivre ? » « Hm... » Il attrape un buffalo wings piquant et le mange doucement en réfléchissant. « Agréable oui et non. Il y a une tonne de monde, mais j’ai préféré NY à Paris par exemple. Par contre, je pense qu’Edimbourg est meilleure pour la santé mentale ou juste… santé tout court. » Il sourit un peu et prend une boulette à manger, puis des légumes. « Mais je me sentais libre. Libre grâce à la langue, pas besoin de formules de politesse dans tous les sens. Pas besoin de se courber à chaque fois jusqu’au sol pour ne pas être regardé de travers. Pas besoin de se justifier pour la moindre petite chose. Je vivais. » Il soupire un peu et la regarde. « Je ne sais pas si NY est la meilleure ville au monde, mais le cabinet d’architecture est vraiment bien, les projets étaient intéressants, la paye sera excellente pour un début. C’est tout ce dont on peut rêver en démarrant dans la vie professionnelle. » Il la regarde cependant longuement, avant de tousser un peu en se cachant la bouche, puis, il picore encore des légumes. « Et toi Lou… tu te plais vraiment ici ? » Il n’avait jamais remarqué avant, mais elle semble tellement indépendante, intelligente et poétique pour un monde pareil. Elle ressemble à une fleur fanée par un amour passionnel qui l’a cueilli trop tôt avant de l’abandonner au bord d’un chemin.
   

Lou s’amuse de la réponse de son compagnon de soirée. Elle se retient de pousser un petit couinement attestant du fort taux d'adorabilité de l'attitude de Han Bin envers elle. Un petit rire lui échappe tout de même. Elle refuse de se laisser attendrir beaucoup plus, c’est bien trop troublant. Le nez dans le menu, elle parvient à se ressaisir. Une fois les plats commandés, elle n’a guère d’autres choix que de lancer la conversation. Pas que les silences entre eux soient pesants, oh ça non, mais bien parce qu’ils sont emprunts d’une complicité et d’une tendresse qui ne la laisse pas de marbre. Et puis, ce n’est pas en parlant avec les yeux qu’elle en saura davantage sur ces points de son existence.

Han Bin prend son temps pour répondre, picorant déjà les amuse-bouches épicés auxquels Lou n’a pas encore touché. Elle sourit lorsqu’il évoque préférer New York à Paris, mais plus encore, préférer Edimbourg. « Ce n’est pas difficile, une grosse ville a rarement un air sain. »  Elle veut lui parler d’Edimbourg, une ville qu’elle connaît bien pour y avoir été chez ses grands-parents tous les étés jusqu’à ses dix-sept ans, lorsqu’elle a commencé à voyager. Han Bin exprime le plaisir de se sentir libre et non jugé constamment, comme dans son pays natal. Il achève en expliquant que le poste promis semble une belle opportunité pour se lancer dans la vie professionnelle. « En effet, que demander de plus ? »  Son sourire se fait doux, elle souhaite de tout son coeur qu’il réussisse.

Louise se décide à essayer les aliments épicés. Elle tente d'appréhender la brûlure dans sa bouche lorsque la question de Han Bin tombe comme un coup sur sa tête. Elle s'étouffe presque avant d’oser le regarder, rouge comme une écrevisse. « Et bien…. »  Elle a le choix. Elle peut mentir, et se mentir à elle-même par la même occasion, brodant sur sa lassitude les points positifs de sa nouvelle vie. Mais quelque chose la retient, quelque chose dans le regard du jeune homme lui donne l’impression qu’elle peut se livrer à coeur ouvert, qu’il ne la jugera pas. Elle ne veut pas mentir à Han Bin pour maintes raisons dont elle ne sait pas encore l’origine. « ...non. »  Elle a un petit sourire gêné avant de reprendre. « Tout ne me paraît pas horrible non plus hein. Disons que j’ai l’impression d’être moins libre ici. Même si, en soi, je peux faire ce que j’ai envie, je ne suis pas prisonnière, il me manque quelque chose… »  Ou quelqu’un.

Marquant une pause, elle, triture du bout de ses baguettes un morceau de légume mariné. Elle se sent coupable. Coupable de se plaindre d’une vie qu’elle a pourtant choisi en toute connaissance de cause lorsqu’elle a dit oui à Moon Bin. Elle relève les yeux vers son petit frère. Si différent.  « Je dois certainement manquer de motivation, non ? »  Elle poursuit. « Quand tu seras un brillant architecte à NY, tu ne m’oublieras pas hein ? Je viendrais te voir et tu me feras visiter Central Park ? » Lou a envie de changer de sujet, elle a peur qu’en continuant à se livrer, elle en arrive à faire des gaffes et à dire tout haut ce que son esprit ne veut pas lui dire tout bas, qu’au final, elle est malheureuse. Amoureuse d’un homme qui ne la regarde presque plus. Un homme qui lui reproche de ne pas lui donner d’héritier. Un homme distant.

 Ça lui fait du bien, à vrai dire, de voir que quelqu’un semble heureux pour lui, pour son avenir. Il semble tellement réticent à le dire à sa famille. Même son frère n’a pas accueilli ça réellement positivement lorsqu’il lui a dit avec tout un enthousiasme non dissimulé. Pour Moon Bin, on finit toujours par revenir au pays, parce qu’il n’y a pas mieux de toute façon. Et il lui a aussi rappelé que ça serait son devoir de bon citoyen à vrai dire, comme il ne peut pas aller à l’armée à cause de son coeur, d’au moins trouver une femme ici, faire des enfants et participer à la vie du pays. Tout ce dont il ne rêve pas. Même s’il a envie de se marier un jour, il veut le faire par amour, pas par devoir. Jamais. Il ose demander à Lou si elle se plaît vraiment ici. « ...non. » Le contraire l’aurait davantage étonné en toute honnêteté… « Tout ne me paraît pas horrible non plus hein. Disons que j’ai l’impression d’être moins libre ici. Même si, en soi, je peux faire ce que j’ai envie, je ne suis pas prisonnière, il me manque quelque chose… » Et selon son frère, il manque un ou deux enfants, pourtant, il n’a pas l’impression qu’elle sous-entend la même chose.

Il voit un air coupable s’installer sur le visage de la jolie anglaise, et ça lui serre le coeur plus qu’il ne voudrait l’admettre… Plus qu’à l’idée de parler avec Clara lorsqu’il rentrera chez lui.« Je dois certainement manquer de motivation, non ? » Il n’ose rien dire, parce qu’il sait bien que ce n’est pas vrai. Et elle le sait aussi. « Quand tu seras un brillant architecte à NY, tu ne m’oublieras pas hein ? Je viendrais te voir et tu me feras visiter Central Park ? » « Comment t’oublier…. » murmure-t-il alors doucement en la contemplant durant un long moment, jusqu’à s’en rendre compte. Se rendre compte que son corps est à nouveau penché vers elle, son dos contre le dossier de la banquette. Il rougit en se remettant droit et tousse un peu pour reprendre de la contenance. « Tu es sans doute ma seule amie végétarienne. Je ne peux pas oublier ça, » rétorque-t-il en se disant que c'est le meilleur des arguments... Puis, il sourit enfin, gêné malgré tout, sans oser la regarder au début. « Tiens, goûte ça… C’est doux, » lance-t-il en lui mettant une boulette recouverte de sauce caramel dans son assiette avant de la regarder à nouveau. Son regard se perd dans le sien, et c’est la chaise d’un autre client rayant un peu le sol qui le ramène dans la réalité. Dire quelque chose… « On ira visiter tout ce qui te fait plaisir. Promis... » Et dans un élan, il tend alors son petit doigt vers elle pour sceller ses paroles.
   

Lou a le regard un peu fuyant avant de revenir à Han Bin, pour lui parler de New York. La première phrase lui fait avoir un regard surpris. Sa posture...Le ton employé...est-ce que ? Non. Ce n’est pas possible, pas déjà. Ils viennent à peine de commencer à parler ensemble. Ils commencent juste à faire connaissance. Il reprend, lui affirmant qu’elle est la seule végétarienne dans son entourage. Amie. Louise rougit d’avoir osé s’imaginer autre chose, même si elle refuse de se l’avouer à elle-même. De quel droit ? Elle est mariée ! Mais elle ne peut nier son attirance naissante. Il a indéniablement, ce petit quelque chose qui doit faire craquer toutes les femmes. Et peut-être même les hommes. Elle se retient de pousser un soupir, intérieurement, elle se sent toute chamboulée.

Et puis il dépose de la nourriture dans son assiette, affirmant avec douceur sans pareil la saveur du met. « Merci... » Elle reprend la petite boule végétale entre ses propres baguettes puis la glisse entre ses lèvres. Son regard capte celui de Han Bin, encore une fois. Ce qu’elle peut avoir chaud. Et puis, ces frissons qui laissent imaginer qu’elle a froid ! Cela en devient presque indécent. La raclement de la chaise la fait sursauter. Légèrement, comme un rappel à l’ordre dont son compagnon est également victime. Elle laisse échapper un petit rire nerveux. « C’est vrai que c’est super bon. Et doux. Les mets sucrés salés sont vraiment supers. » Han Bin reprend, il veut sceller une promesse. Le coeur de Lou fait un grand bond. C’est une promesse qu’il ne vaudra mieux pas briser. Han Bin le sait-il ?

Le petit doigt de Lou vient entourer celui du jeune homme avec solennité. Son regard plonge dans les prunelles chocolat de Han Bin. « Je n’oublierais pas. » Sa phrase résonne presque comme un défi. Elle lui offre un sourire rayonnant avant de relâcher son doigt, presque à contre-cœur. Elle pioche au hasard parmi les mets, ses baguettes attrapant quelque chose ressemblant à un beignet, la couleur tirant légèrement rougeâtre devrait lui mettre la puce à l'oreille... Elle croque dedans avec appétit, et puis, vire au rouge. Sa langue s'enflamme, ses yeux s’embuent. Elle regarde Han Bin comme si elle l’appelle au secours. Et alors que les larmes roulent du coin de ses yeux, elle éclate de rire. « Pure pâte de piment… » Une fois le monstre avalé, elle jette son dévolu sur quelque chose qui lui semble neutre pour atténuer la sensation de brûlure sur ses papilles. Finalement, elle achève avec du lait d’amande, manquant de s’en renverser sur la robe, dans la précipitation.

Elle s’essuie la bouche avant de pouffer de nouveau. « Je ne suis pas sortable…Désolée ! » Elle n’est pas si maladroite d’ordinaire, elle se maîtrise même plutôt bien. Mais la présence agréable de Han Bin la met en confiance, elle a l’impression d’avoir perdu quelques années, d’être de nouveau la femme insouciante d’il y a quatre ans.